La libération du braqueur présumé du casino d’Uriage provoque de vives réactions

La décision de libérer sous contrôle judiciaire Moncif Ghabour, soupçonné du braquage du casino d'Uriage-les-Bains et d'une tentative de meurtre sur des policiers au mois de juillet, relance le conflit entre magistrats et forces de l'ordre.

REUTERS - La libération d'un homme soupçonné de l'attaque d'un casino et de tentative de meurtres de policiers a rallumé vendredi en France un vieux conflit entre syndicats de policiers et de magistrats.

Mis en examen jeudi pour l'attaque à main armée du casino d'Uriage-les-Bains (Isère) dans la nuit du 15 au 16 juillet et une tentative d'homicide visant des policiers, Moncif Ghabour a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire strict.

Approuvant son ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, qui a fait part jeudi de sa "très vive indignation", Nicolas Sarkozy a critiqué la décision et qualifié le suspect de "délinquant".

"Le ministre de l'Intérieur a dit ce qu'il convenait de dire en la matière. Je pense aux policiers qui se sont donné tant de mal pour retrouver ce délinquant. C'est bien difficilement compréhensible qu'on le remette en liberté dans ces conditions", a dit le chef de l'Etat, lors d'un déplacement en Côte-d'Or.

Les syndicats de policiers parlent de "forfaiture" et de décision "intolérable". La ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, a suscité un appel du parquet contre la décision.

Le principal syndicat de magistrats français a vivement réagi aux critiques. Il estime que le juge des libertés de Grenoble a fait son travail face au dossier et qu'un placement
en détention n'est pas la récompense d'un travail policier.

"Le gouvernement et certains syndicats de policiers tentent de faire croire que les magistrats, par leur laxisme, sont responsables de la hausse de la délinquance et de l'insécurité en France. Cela s'inscrit dans une vaine recherche de boucs émissaires", dit l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) dans un communiqué.

"Tenter de diviser entre elles les institutions de la République est le symptôme d'un grave affaiblissement de l'autorité de l'Etat, forcément contreproductif dans la lutte contre la délinquance", ajoute-t-il.

Eléments à charge contestés

Le secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), Matthieu Bonduelle, a déploré sur Public Sénat que "certains politiques se livrent à une sorte de 'guéguerre' avec les juges parce que sur le plan électoral ça fait toujours du bien, et c'est toujours plus facile que de s'attaquer aux vrais problèmes".

Pour le Parti socialiste "il faut dire toute la vérité" dans cette affaire. Elle "confirme la nécessité d'une justice et d'une police remplissant leurs missions dans la sérénité et avec
des moyens adéquats", juge Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national chargé de la sécurité, dans un communiqué.

Arrêté mardi, et placé depuis en garde à vue, le suspect a un casier judiciaire avec plusieurs condamnations.

Sa mise en cause, dit-on de source judiciaire, repose essentiellement sur des témoignages et une expertise en "odeurs" prélevées sur la scène de crime. Il nie les faits, avance un alibi et d'autres témoins ont déposé en sa faveur.

Son avocat, Denis Dreyfus, soutient que la décision n'a rien d'aberrant. "Le magistrat a pris cette décision en se référant au principe fondamental de la présomption d'innocence alors que d'autres l'avaient présenté comme coupable sur la base de rumeurs et non d'éléments réels", a-t-il dit à la presse locale.

Le président de l'USM, Christophe Régnard, estime qu'il est fait peu de cas de ce principe. "Il y a deux poids, deux mesures au gouvernement. Pour (le ministre du Travail-NDLR) Eric Woerth, on insiste constamment sur la présomption d'innocence, mais pour les suspects de Grenoble, ils devraient être systématiquement incarcérés ab initio", a-t-il dit à Reuters.

La fusillade entre les forces de l'ordre et Karim Boudouda, co-auteur de l'attaque du casino, avait abouti à la mort de ce dernier, ce qui avait embrasé le quartier de la Villeneuve, dont il était originaire.

Le préfet de l'Isère a ensuite été limogé et Nicolas Sarkozy a relancé le thême de la sécurité, liant délinquance et immigration et proposant la déchéance de nationalité française pour les auteurs "d'origine étrangère" de violences contre des policiers.

Le principe général du droit français est que, dans une enquête, la liberté est la règle et la détention l'exception.

Les critères de la détention provisoire ont été rendus plus stricts par le précédent gouvernement de droite après le scandale de l'affaire de pédophilie d'Outreau, où 13 personnes avaient été incarcérées à tort durant des années.